jeudi 8 septembre 2011

La perception de la structure

(The perception of structure -cf infra)





Nous avons des os et des veines qui sont organisés de façon à garantir notre existence. Les êtres sont ainsi structurés. Ce qui n'est pas structuré est pure matière informe (la mort correspond à la dissolution de la structure). Nous faisons donc la différence entre ce qui est structuré et ce qui ne l'est pas. Est-ce à dire que nous percevons la structure des choses ? Nous ne voyons pas directement le squelette d'un homme et en même temps nous voyons bien qu'il a un squelette. Comment peut-on percevoir la structure des choses sans la voir directement ?



Pour aborder cette question, nous allons tout d'abord réfléchir au fait qu'une structure soit absente, c'est-à-dire qu'elle n'apparaît pas immédiatement sous nos yeux. L'absence de la structure fait d'elle une entité métaphysique que l'on peut appréhender par l'esprit et non par les sens. La structure d'un cube, avec ses six faces, m'est connue, mais je ne peux percevoir ses six faces. D'un point de vue métaphysique, la structure est mystérieuse. Qui a créé la structure du monde ? Un dieu créateur ou le hasard et le temps (Darwin) ? Certains voient, dans l'organisation du monde, la preuve de l'existence de dieu. Insister sur l'ordre du monde, c'est monter l'intelligence qui l'aurait créé. Il reste qu'on peut supposer que cet ordre est né de hasards. Mais comment le désordre peut-il donner de l'ordre par hasard ? Ce serait comme si un singe avait écrit Hamlet en tapant au hasard sur une machine à écrire. De plus, l'aspect non immédiat et invisible de la structure lui confère une dimension immatérielle qui la rapproche du divin, si l'on remarque que la structure est immobile et donc "éternelle" (Platon). La structure de l'être humain, par exemple, reste la même à travers les différents individus.

Diverses arguments philosophiques tentent d'éviter cette mystification. La structure, pourrait-on objecter, est une invention humaine. Elle n'est pas réellement fixe. C'est une fiction utile pour nous repérer dans la vie mais qui ne renvoie pas à la réalité qui elle est changeante (Occam, Hume, Kant, Nietzsche). La question se pose donc de savoir si les structures que la science met à jour sont vraiment découvertes ou inventées. Selon les nominalistes ou constructivistes, nous inventons déjà des structures en art, en dessinant un plan d'architecture ou en écrivant une partition. Est-ce vraiment différent pour un scientifique ? Son modèle est lui aussi créé, mais il est sensé être une image vérifiable des choses. C'est donc une invention artistique qui devient scientifique si elle correspond à l'expérience.

Le problème de la réalité des structures se pose de manière plus aiguë pour les sciences sociales. Le mouvement structuraliste par exemple s'intéresse aux structures qui règlent le comportement humain (Levi-strauss), le fonctionnement de la langue (Saussure) ou du psychisme (Lacan). Ce qui est remarquable, c'est d'appliquer la notion de structure aux hommes. On objectera que les phénomènes naturels sont rigoureusement structurés selon des lois, mais que les êtres humains, étant libres, ne sauraient être totalement structurés dans leur comportement. La matière est composée de particules et ces particules ne s'organisent pas n'importe comment. Comprendre la manière dont elles s'assemblent, c'est établir la structure de la matière (voir théories de Newton, Einstein ou Mendeleïev). Les hommes eux ont des types de comportement bien plus instables en fonction des cultures et des individus. Cependant, la recherche de lois, même si elle est susceptible d'aboutir à des fictions simplificatrices, nous permet de mieux comprendre les hommes. On peut ainsi chercher des points communs entre les différentes langues (Saussure), les différents rapports familiaux (Levi-strauss), les différentes pathologies mentales (Lacan), les différentes situations de perception (Merleau-Ponty) ou les différentes étapes de la maturation (Piaget).

Les faits physiques et les hommes sont donc perçus comme structurés. Un pays est lui-même basé sur une infrastructure. Cette structure sous-jacente est importante et pourtant n'apparaît pas au premier coup d'œil. Le territoire est structuré avec ses villes et ses campagnes, sa bureaucratie et ses réseaux de transport. Si la notion de structure en science désigne une organisation invisible et non matérielle, celle d'infrastructure en économie ou en architecture désigne quelque chose de plus solide. En architecture, c'est l'armature du bâtiment sans laquelle il ne pourrait se tenir solidement. En urbanisme, c'est les aménagements vitaux comme les routes et les canaux. En économie, c'est l'organisation des échanges. L'infrastructure est donc un réseau vital. Selon Marx, cette infrastructure n'est pas totalement stable. Elle évolue à travers l'histoire, en raison des rapports de forces qui traversent l'infrastructure, comme l'opposition ville/campagne ou patron/ouvrier.

La structure est souvent vue comme un échafaudage solide, rigide, droit et géométrique. Contre cette idée de rigidité mécanique de la structure, Deleuze oppose le rhizome, qui un entrelacs de fines racines souples et souterraines. Il remplace une métaphore osseuse par une autre nerveuse. Cela veut dire qu'au principe des choses, il n'y a pas nécessairement une organisation hiérarchique à la manière d'un arbre avec le tronc principal et ses branches subordonnées, mais un tissu réticulaire, comme internet, où le centre et la périphérie sont partout et nulle part en particulier. Cette image permet d'imaginer une structure vivante, laissant place à la spontanéité et l'échange symétrique (cf. Annexe).



Nous avons vu que la structure est nécessaire pour penser l'ordre des choses mais que l'accès à cette structure même est problématique. Elle semble bien souvent n'être qu'une image que nous nous construisons. Ne peut-on pas cependant établir un contact plus immédiat avec la structure ? Dans un premier temps, nous pouvons affirmer que la structure, bien qu'invisible la plupart du temps, peut apparaître en des situation exceptionnelles, lorsque par exemple le cadavre se décompose, la maison tombe en ruine ou lorsque l'enveloppe est arrachée, comme la carrosserie d'une voiture. Parfois, l'enveloppe ne fut même jamais là, comme pour la tour Eiffel ou les pilotis d'une maison. Il existe une tendance classique en design qui consiste à travailler l'enveloppe pour souligner l'individualité. R. Lowie, par exemple, redessine les véhicules au début du XXe pour cacher la complexité mécanique et donner à leur aspect une simplicité organique. Mais d'autres au contraire font apparaître la structure par transparence (Swatch, Apple), écorché (Gordon Matta Clark) ou inversion (Renzo Piano à Beaubourg).

Nous voyons donc que la forme peut être métaphysique ou physique. Cela nous amène à distinguer deux formes avec Aristote : l'eidos qui est invisible et idéal (eg. la forme humaine en général)) et la morphé qui est visible et particulière (eg. telle figure humaine). La morphé est la manière particulière qu'à l'eidos d'exister dans la matière sous des formes diverses. Nous avons généralement deux bras et deux jambes mais ils ne sont pas de la même longueur chez tous le monde. Ainsi, la morphé est la manière visible d'apparaître de l'eidos. La gestalt théorie et la phénoménologie s'intéressent à la morphé et à la manière dont les structures se donnent dans la perception. Par exemple, je perçois un ensemble structuré (eg. la circulation auto) avant les élément (eg. chaque auto). Les apparences ne nous cachent pas nécessairement l'organisation des choses mais nous la donnent.

La médiologie (R. Debray) est un courant qui invite à s'intéresser à l'infrastructure pour comprendre la superstructure, comme le préconisait Marx. Selon lui, pour comprendre les mentalités et les cultures, il faut connaître les rapports de force économiques. La médiologie dit que pour comprendre la vie intellectuelle et symbolique, il faut étudier les médias eux-mêmes avant leur contenu ("media is the message", Mac Luhan). Ainsi l'objet télé, l'objet internet, comme auparavant l'objet imprimerie, ont transformé l'infrastructure des sociétés indépendamment des messages transmis grâce à eux. Le médiologue est celui qui, contrairement aux autres, regarde le doigt plutôt que la lune qu'il indique

Le processus de mise à jour du caché est propre à la découverte. La dissection du corps et la retranscription sur le papier de l'anatomie, chez Honoré Fragonard ou André Vésale, témoignent de cette volonté d'analyser l'organisation du corps. On peut de la même manière faire des coupes géologiques pour comprendre les sols, compter les cernes d'un bois, faire des radiographies pour voir les os et maintenant étudier l'Adn d'un organisme. Il s'agit de se représenter le principe organisateur des choses. Comprendre la structure, c'est maîtriser tous les cas particuliers qu'elle recouvre.



La structure est souvent un modèle, une métaphore, une image qui correspond plus ou moins bien à la réalité, comme le plan d'une ville. Mais elle peut apparaître réellement par touches, notamment lorsque l'on creuse la surface des choses pour faire affleurer l'armature. La structure est une représentation dans la mesure où elle est un ensemble figée, comme les squelettes immobiles des cours d'anatomie. Mais quand elle est en action, elle reste souvent dissimulée, comme c'est le cas du squelette du cheval au galop. Ainsi, on oppose régulièrement la vie, telle qu'elle est vécue spontanément dans l'ignorance de ses lois, à la connaissance qui repose sur la mise à mort des choses une fois fixées par le schémas ou le langage. Il importe donc d'être attentif au mouvement des choses et pas uniquement à leur représentation figée. L'image des nervures ou du rhizome, en ce sens, est plus dynamiques que celle de l'ossature ou de l'arbre.





Annexe



"Résumons les caractères principaux d’un rhizome : à la différence des arbres ou de leurs racines, le rhizome connecte un point quelconque avec un autre point quelconque, et chacun de ses traits ne renvoie pas nécessairement à des traits de même nature, il met en jeu des régimes de signes très différents et même des états de non-signes. Le rhizome ne se laisse ramener ni à l’Un ni au multiple. Il n’est pas l’Un qui devient deux, ni même qui deviendrait directement trois, quatre ou cinq, etc. Il n’est pas un multiple qui dérive de l’Un, ni auquel l’Un s’ajouterait (n + 1). Il n’est pas fait d’unités, mais de dimensions, ou plutôt de directions mouvantes. Il n’a pas de commencement ni de fin, mais toujours un milieu, par lequel il pousse et déborde. Il constitue des multiplicités linéaires à n dimensions, sans sujet ni objet, étalables sur un plan de consistance, et dont l’Un est toujours soustrait (n - 1). Une telle multiplicité ne varie pas ses dimensions sans changer de nature en elle-même et se métamorphoser. À l’opposé d’une structure qui se définit par un ensemble de points et de positions, de rapports binaires entre ces points et de relations biunivoques entre ces positions, le rhizome n’est fait que de lignes : lignes de segmentarité, de stratification, comme dimensions, mais aussi ligne de fuite ou de déterritorialisation comme dimension maximale d’après laquelle, en la suivant, la multiplicité se métamorphose en changeant de nature. On ne confondra pas de telles lignes, ou linéaments, avec les lignées de type arborescent, qui sont seulement des liaisons localisables entre points et positions. À l’opposé de l’arbre, le rhizome n’est pas objet de reproduction : ni reproduction externe comme l’arbre-image, ni reproduction interne comme la structure-arbre. Le rhizome est une antigénéalogie. C’est une mémoire courte, ou une antimémoire. Le rhizome procède par variation, expansion, conquête, capture, piqûre. À l’opposé du graphisme, du dessin ou de la photo, le rhizome se rapporte à une carte qui doit être produite, construite, toujours démontable, connectable, renversable, modifiable, à entrées et sorties multiples, avec ses lignes de fuite. Ce sont les calques qu’il faut reporter sur les cartes et non l’inverse. Contre les systèmes centrés (même polycentrés), à communication hiérarchique et liaisons préétablies, le rhizome est un système acentré, non hiérarchique et non signifiant, sans Général, sans mémoire organisatrice ou automate central, uniquement défini par une circulation d’états. Ce qui est en question dans le rhizome, c’est un rapport avec la sexualité, mais aussi avec l’animal, avec le végétal, avec le monde, avec la politique, avec le livre, avec les choses de la nature et de l’artifice, tout différent du rapport arborescent : toutes sortes de « devenirs ». (Ce texte est extrait de « Rhizome », titre de l’introduction du livre de Gilles Deleuze et Félix Guattari Mille Plateaux, Capitalisme et schizophrénie 2, paru aux Éditions de Minuit en 1980. Il figure pages 30 et 31).

The perception of structure







We have bones and veins that are organized to ensure our existence. Things are structured. What is not structured is pure formless matter (death is the dissolution of the structure). So we differentiate what is structured and what is not. Does it means that we perceive the structure of things? We do not see directly the skeleton of a man and yet we see him has a skeleton. How can we perceive the structure of things without seeing it directly?


To address this question, we will first consider the fact that a structure is absent, that is to say, it does not appear immediately to our eyes. The lack of structure makes it a metaphysical entity that can be apprehended by the mind and not through the senses. The structure of a cube with six faces, is known, but I can not perceive its six faces. From a metaphysical point of view, structure is mysterious. Who created the structure of the world? A creator god or chance and time (Darwin)? Some see in the organization of the world, proof of the existence of god. Insist on the order of the world, shows the intelligence that would have created it. We can otherwise assume that this order is born of chance. But how the disorder can bring the order by chance? It would be like as if a monkey, by typing randomly on a typewriter, wrote Hamlet. In addition, the non-immediate and invisible aspect of the structure gives it a spiritual dimension which approximates the divine, if we notice that the structure is stationary and thus "eternal" (Plato). The structure of the human being, for example, remains the same across different individuals.


Various philosophical arguments try to avoid this mystification. Structure, one might argue, is a human invention. It is not really fixed. It is a useful fiction for us to identify things in life, but that does not denote reality that it is changing (Ockham, Hume, Kant, Nietzsche). The question arises whether the structures that science updates are really discovered or invented. According to the nominalist or constructivist, we invent structures already in art, drawing an architectural plan or writing a partition. Is it really different for a scientist? His model is also created, but it is supposed to be a verifiable picture of things. So it is an artistic invention that becomes scientific if its correspond to experience.

The problem of the reality of structures arises more acutely in the social sciences. The structuralist movement is interested in such structures that govern human behavior (Levi-Strauss), the functioning of language (Saussure) or psyche (Lacan). What is remarkable is to apply the notion of structure to men. We object that natural phenomena are carefully structured according to laws, but that human, beings free, can not be fully structured in their behavior. The material consists of particles and these particles are organized. Understand how they fit together is to establish the structure of matter (see theories of Newton, Einstein or Mendeleyev). Men have their patterns of behavior far more unstable in different cultures and individuals.


However, research legislation, although it is likely to lead to simplifying fictions, allows a better understanding of men. We can look for similarities between different languages ​​(Saussure), different family relationships (Levi-Strauss), various mental disorders (Lacan), different situations of perception (Merleau-Ponty), or different stages of maturation (Piaget).






Physical facts and men are seen as structured. A country is itself based on an infrastructure. This underlying structure is important and yet is not appearing at the first glance. The territory is organized with its cities and its countryside, its bureaucracy and its transmission. If the concept of structure in science means an organization hidden and not material, that of economics or infrastructure architecture means something more solid. In architecture, it is the frame of the building, without which it could not be held securely. Urban planning is vital facilities such as roads and canals. In economics, it is the organization of trade. The network infrastructure is vital. According to Marx, this infrastructure is not completely stable. It evolves through the history, because of the power relations that traverse the infrastructure, such as opposition rural / urban or boss / worker.

The structure is often seen as a firm scaffolding, rigid, straight and geometric. Against the idea of mechanical rigidity of the structure, Deleuze contrasts the rhizome, which have a flexible web of fine roots and groundwater. It replaces a metaphor of bone by another of nerve. This means that the principle of things is not necessarily a hierarchical organization in the manner of a tree with the main trunk and branches subordinate, but a reticular tissue, such as the Internet, where center and periphery are everywhere and nowhere in particular. This image allows us to imagine a living structure, leaving room for spontaneity and symmetric exchange.


We have seen that the structure is necessary to think about things, but that access to this structure is problematic. It often seems to be an image that we are building. Can we not, however, establish a closer contact with the structure? At first, we can say that the structure, although invisible most of the time, may appear in exceptional circumstances, eg. when the body breaks down, the house is falling apart or when the envelope is torn, as the bodywork of a car. Sometimes, the envelope was never even there, like the Eiffel Tower or the piles of a house.


There is a tendency in design of working envelope to emphasize individuality. R. Lowie, for example, redesigned vehicles in the early twentieth to hide the mechanical complexity and give a simple organic appearance. But others point to the contrary, the structure transparency (Swatch, Apple), skinned (Gordon Matta Clark) or inversion (Renzo Piano Beaubourg).

Thus we see that the form can be physical or metaphysical. This leads us to distinguish two forms with Aristotle's : eidos is invisible and ideal (eg. the human form in general)) and morphe that is visible and specific (eg. such human figure). The morphe is the particular way for the eidos to exist in the material in various forms. We generally have two arms and two legs but they are not the same length in all the world. Thus, the morphe is the visible appearance of eidos. Gestalt theory and phenomenology are interested by morphe iand how the structures are given in perception. For example, I see a structured (eg. auto traffic) before the item (eg. each car). Appearance does not necessarily hide the organization of things but give it to us.

Mediology (R. Debray) is a current that invites attention to the infrastructure to understand the superstructure, as advocated by Marx. According to him, to understand the attitudes and cultures, one must know the economic balance of power. Mediology said that to understand the intellectual and symbolic, we must study the media themselves before their content ("media is the message," McLuhan). Thus television object, internet object, as before printing object, have transformed the infrastructure of societies regardless of the messages transmitted through them. The mediologist is one who, unlike the others, looks at the finger rather than the moon indicates by it.


The process of updating the hidden own discovery. The dissection of the body and the transcript on the paper of the anatomy, in Honoré Fragonard and Andreas Vesalius, reflects the desire to analyze the organization of the body. It may be in the same way geological sections to understand the soil, as the rings of a tree, or X-rays to see bone, and now studying the DNA of an organism. This is to represent the organizing principle of things. Understanding the structure is to master all the cases it covers.


The structure is often a model, a metaphor, an image that roughly corresponds to reality, as the plan of a city. But it can actually appear by parts, especially when you dig the surface of things to flush the frame. The structure is a representation insofar as it is a fixed set, as the skeletons in anatomy lessons.


But when it is in action, it often remains hidden, as the skeleton of a galloping horse. Thus, we usually oppose life, as experienced spontaneously in ignorance of its laws, to the knowledge based on killing things, once set by the drawings or language. It is therefore important to pay attention to the movement of things and not just to their static representation. The image of the veins or rhizome, in this sense, is more dynamic than that of frame or tree.