jeudi 12 mars 2015

OGM

Les révolutions industrielles ont bouleversé tous les aspects de la vie partout sur la planète, dans notre façon de nous distraire, de travailler, d'habiter, de nous nourrir, etc. Ces bouleversements concrets sont considérés comme des progrès en termes de confort, de sécurité, d'abondance, etc. Néanmoins, cette vision idyllique fut remise en cause lorsque des conséquences imprévisibles et inquiétantes surgirent avec, par exemple, les guerres modernes (camps, armement) et les catastrophes industrielles, mais aussi les bouleversements sociaux (crises, chômage, misère).
Nous nous concentrerons sur la question alimentaire pour étudier cette évolution impulsée par les technologies, à travers la questions des organismes génétiquement modifiés qui touche au rapport du monde industriel aux êtres vivants. Peut-on considérer les évolutions technologiques comme des améliorations du vivant et de nos modes de vie, au même titre que les progrès accomplis par les générations passées depuis la préhistoire ? Doit-on s'inquiéter que certaines limites aient été franchies et au-delà desquelles nous nous mettons en danger ainsi que notre environnement ?





I. Le génie génétique



La génétique moderne se distingue de la sélection massale des meilleures semences, du bouturage, du marcotage et du greffage, en ce qu'elle se pratique en laboratoire à une échelle microscopique (transgenèse). Cette technologie valorise la place de l'expert et du scientifique par rapport à celle de l'agriculteur. Elle rend possible une hybridation et une mutation des espèces auparavant impossibles.

Ces modifications génétiques des organismes s'inscrit clairement dans le projet cartésien de "se rendre comme maître et possesseur de la nature" ; avec des espoirs aussi divers que la disparition de la famine, de la maladies, de la mort, voire la résurrection des espèces disparues (Jurassik Parc). L'action des scientifiques en général s'étend aujourd'hui en profondeur, au cœur de la nature, pour atteindre les cellules, les molécules et les atomes. Ainsi elle influence les processus naturels à la racine, à l'origine (genos en grec). Dans le cas de la génétique, ce n'est pas uniquement sur l'individu que l'on agit, mais sur toute l'espèce, à travers l'hérédité, et à plus long terme sur les autres espèces et tout l'environnement.

La démarche radicale du scientifique s'inscrit dans la recherche d'efficacité et de puissance propre à la technologie et au productivisme, mus par la quête de l'abondance (hormone de croissance, sélection et transfère des gènes d'intérêt, multiplication du rendement pour accompagner l'essor démographique, optimisation des organismes). Cette logique de croissance et d'expansion est propre également au modèle capitaliste, au détriment des principes d'équilibre et de mesure. Elle se justifie socialement par la promesse utilitariste de l'abondance et d'un plus grand bonheur pour le plus grand nombre. La culture des Ogm se veut écologique et saine. Elle prétend nous débarrasser des intrants, grâce à des Ogm capables de se défendre seuls contres les parasites, tout en produisant aussi des Ogm résistants aux herbicides. Y. Chupeau, dans Ogm, quels risques ?, prétend, que l'association du glyphosate, puissant herbicide, et de la semence modifiée qui y résiste est une solution écologique et pratique. L'industrie génétique nous promet des plantes plus nourrissantes, résistant au gel, à la sécheresse et au soleil. Sur le plan de la santé, la modification génétique doit permettre de traiter le diabète, les épidémies, le cancer, l'hémophilie, la cécité, la myopathie et la maladie de parkinson. Les applications militaires doivent également représenter un progrès aux yeux des ministères de la défenses.

La question de la modification génétique des plantes n'est donc qu'un aspect de la modification des organismes vivants. Les techniques sophistiquées liées à la procréation en sont un autre aspect, qu'il s'agisse du clonage, de la thérapie génie, de la PMA, etc. Ces technologies côtoient d'autres technologies concernant l'inerte, comme la chimie moléculaire, la fission atomique, les nanotechnologies, etc. La logique reste la même qui consiste à intervenir de manière volontariste au cœur de la matière, a tenter tous les bricolages, afin de transformer la nature et de la rendre plus adaptée à l'homme, ou du moins à une certaine idée de l'homme. La nature est conçue comme un Méccano, un Légo ou un code. Son principe mécanique repose sur l'articulation de briques traduisibles en symboles, que ce soit les éléments de Mendeleiev, le langage binaire des ordinateurs ou les quatre bases de l'Adn (adénine, thymine, cytosine, guanine). Cette approche galiléenne, comme le fait remarqué Husserl dans La crise des sciences, réduit la vie à un vêtement d'idée et l'être à une méthode.

Un corollaire de cette approche galiléenne, quantifiable et interventionniste, est la marchandisation et l'appropriation de la nature. Celle-ci, modifiée dans le cadre d'investissements scientifiques et industriels, entre dans le processus d'exploitation capitaliste qui avait commencé avec les enclosures au XVIe en Angleterre et s'est poursuivie avec la conquête des terres amérindiennes. Une fois les corps vivants brevetés par les industries qui ont découvert et modifié leur structure, ces industries exercent une domination commerciale sur ceux qui utilisent leur semences. Yves Chupeau, qui défend les Ogm contre J. Testard, compare lui-même l'étude des gènes à la cartographie des continents par les explorateurs de la Renaissance. Il considère également que la rétribution des performances intellectuelles (brevets) est ce qui stimule l'innovation. Marie Monique Robin, dans Le monde selon Monsanto, montre comment la firme ruine les agriculteurs avec le monopole qu'elle exerce grâce à ses semences brevetés. Sur le site Infogm, on peut lire que les barons du soja de divers pays d'Amérique du sud font expulser les habitants et détruisent les forêts pour étendre leurs champs de soja (C. Noisette, 2004). Plus globalement, l'analyse génétique permet d’accroître le contrôle et le fichage des populations à titre commercial (assurances) et sécuritaire (polices). L'entreprise Sooam biotech propose aussi de cloner votre animal domestique. Nous voyons donc que, en plus de l'impact sur l'environnement, la technologie génétique modifie nos conceptions de l'économie et de l'éthique.





II. La résistance au progrès.



Se rendre comme maître et possesseur de la nature implique donc de la transformer. Bien sûr, des modifications ont déjà lieu dans la nature, comme le montre la théorie de l'évolution, laquelle a remis en cause la conception stationnaire de la nature héritée d'Aristote. Mais ces modifications diffèrent de celles opérées par l'homme. Elles semblent plus lentes et relativement modestes. Le modèle cybernétique qui est le nôtre aujourd'hui remet en cause cette différence entre les processus et les rythmes naturels et techniques pour un plasticité encore plus grande. En 1953 Crick et Watson modélisent le principe de la séquence d'Adn. Quelques années avant, Norbert Wiener inventait la cybernétique, selon laquelle le vivant comme la machine reposent sur un principe d'échange d'informations. Ainsi on peut supposer qu'une mutation génétique est réductible à un bug informatique, soit une erreur de codage. En maîtrisant cette erreur, on parvient donc à une sorte de rhétorique génétique.

Nous sommes tentés de faire de Leibniz, philosophe du XVIIe, un précurseur de la cybernétique lorsqu'il affirme, "chaque corps organique d'un vivant est une espèce de machine divine ou un automate naturel" (Monadologie). Il s'agit en quelque sorte d'un réductionnisme faisant du corps et de l'esprit une même substance. La pensée cybernétique aujourd'hui à pour conséquence de réduire la distance entre l'homme et la machine, par exemple en employant le mot "performance" à la place du mot comportement. La réduction du vivant au mécanique permet de simuler des molécules de synthèse (design organique) dans un environnement virtuel numérique ou de projeter la réalisation d'ordinateurs moléculaires qui utiliseraient l'Adn pour effectuer des calculs.

Avec la cybernétique, la nature se réduit donc à un ensemble d'informations où toutes les combinaisons sont possibles, sans faire de différence entre celles opérées par l'homme ou sans l'homme. Le principe d'"équivalence en substance" vise à détruire la différence entre l'artificiel et le naturel pour affirmer a priori l'innocuité des Ogm. Pour reprendre les terme de Simondon, la concrétisation technique rejoindrait le concret organique. Cette approche permet de forcer les frontières biologiques en toute indifférence, en transférant des gènes d'une espèce à l'autre, et de négliger le problème de la contamination d'autres espèces par les Ogm. Que ce passerait-il par exemple si les gènes Terminator, qui empêchent la réutilisation des semences lors de la saison suivante pour des raison commerciales, se répandaient aux autres espèces et stérilisait toute la végétation ? Quelles seraient les conséquences environnementales mais aussi sociales d'une monoculture monopolisée par les grandes firmes au dépend de la biodiversité et des petits agriculteurs ?

Les notions de responsabilité et de risque sont inhérentes à la pratique humaine uniquement. Contrairement à ce qui arrive par fatalité, l'action humaine nous rend en principe responsable des progrès ou des dommages qu'elle entraîne. Or des philosophes comme Heidegger ou Ellul se sont inquiétés du fait que la technique soit devenu aujourd'hui un destin plus qu'un choix. Cet état de fait est peut-être lié à un déficit démocratique et à la prédominance des experts. Or il existe pour les Ogm des réseaux citoyens, comme le Crireem, Infogm ou Rézogm, comparables au réseaux antinucléaires de la Criirad ou Sortir du nucléaire, qui pratiquent une veille citoyenne. Le modèle d'Act-up est également intéressant, puisque cette association valorise l'expérience des patients contaminés contre l'avis des médecins et des laboratoires. Il faut considérer que les experts ne peuvent être neutres si l'on tient compte des conflits d'intérêts, du pantouflage, de la corruption, chez les politiques, les savants et les journalistes.

Évidemment, nous ne saurions prévoir toutes les conséquences de ce que nous faisons. Mais nous pouvons justement tenir compte de notre ignorance en nous abstenant d'agir, selon un principe de précaution. Ce principe consiste à tenir compte des risques potentiels, à la différence de la prévention qui part des risques avérés. Le principe de précaution part du principe que si un risque n'est pas prouvé, cela ne constitue pas une preuve qu'il n'y a pas de risque. Le principe de précaution, et même celui de prévention, devraient nous apparaître aujourd'hui indispensables après les catastrophes industrielles atomiques et chimiques mais aussi les scandales du sang contaminé, de la vache folle, de l'amiante, des prothèses PIP ou du médiator. Le traité transatlantique (Trans-Atlantic Free Trade Agreement) prévu pour 2015 est préoccupant, puisqu'il risque de défaire les réglementations environnementales européennes anti-ogm.

Face au risque, deux mentalités s'affrontent. Il y a d'abord celle de l'entrepreneur aventurier, qui part du principe que l'on est toujours trop méfiant et qui qualifie la prudence et la précaution de réactionnaire et conservatrice. La précaution revient pour eux à un infanticide technique, purement idéologique et non scientifique, comme si la recherche restait absolument neutre et objective. L'homme prudent, qui accuse l'aventurier de se comporter de façon irresponsable, égoïste et infantile, ne recule pas devant une heuristique de la peur. Chez Hans Jonas, par exemple, il s'agit moins d'une peur pour nous-mêmes, à la manière de Hobbes, mais pour nos descendants. On reconnaît donc que le principe de précaution oppose une démarche émotionnelle à la démarche scientifique. Pour autant, il ne s'agit pas d'une position romantique infondée. On pourrait plutôt parler d'un catastrophisme éclairé (JP. Dupuy).

Dans sa hâte, l'entrepreneur semble prêt à ouvrir la boite de Pandore sans mesurer par exemple les risques sanitaires. Selon un article du New England Journal of medicine de 1996, les rats développent des allergies aux gènes insecticides. Nous ignorons les effets à long terme sur les hommes. Au niveau environnemental, on peut s'inquiéter d'une diffusion du gène terminator à d'autres espèces et de leur stérilisation. On peut aussi imaginer que les parasites développent des résistances aux gènes insecticides ou herbicides, rendant le recours aux intrants nécessaire avec pour conséquence la pollution et la destruction des sols cultivables. D'un point de vue sociaux-économiques, nous voyons les risques de faillite dus aux brevetage des semences et au monopole des grandes firmes. De plus, Le Meilleur des monde, de Huxley, paru en 1932, anticipe ce que pourrait être une société totalitaire où la génétique permettrait de concevoir une population produite selon des fonctions et un ordre hiérarchique.

Globalement, le pouvoir appartient aujourd'hui aux aventuriers et la prudence au peuple mal écouté. L'expert voit les appréhensions populaires comme des résistances primitives et obscurantistes au progrès. La savant éclairé part du principe que la masse est dans l'illusion et tremble inutilement dans sa caverne. Cependant, rien ne nous assure que l'expert n'est pas lui-même dans l'erreur et que ce qu'il envisage comme étant la réalité n'est pas autre chose qu'un système abstrait (scientisme). Ainsi, y a-t-il peut-être plusieurs réalités, plusieurs points de vue sur réel, au lieu d'une réalité unique et scientifique qui s'opposerait à la fiction et l'illusion de la foule. Aussi le déficit démocratique que nous observons aujourd'hui, concernant l'aménagement du territoire ou les mesures environnementales, ne serait-il pas seulement une faiblesse du système, que des processus participatifs citoyens pourraient résorber, mais son essence même.

Ce qui n'est pas pris en compte dans la concertation orchestrée par les décideurs c'est qui décide des modalités de la concertation. Dès lors que la société civile prend elle-même l'initiative, elle est rapidement rejetée dans l'illégalité (désobéissance civile, "violence"). Or les actes de sabotage et les manifestations organisée par les habitants sont rendus nécessaires par la surdité et la cécité des autorités. Celles-ci semblent convaincues que chaque poison technologique a son remède technologique, sans voir que le traitement est à la source de la maladie et que la iatrogénèse, la maladie d'origine médicale, s'étend à l'échelle planétaire. Cette fuite en avant technologique est rendue possible par une banalisation par l'usure. Les victoires ponctuelles des opposants au technologies néfastes et inutiles semblent incapables d'enrayer un phénomène global et massif. La culture et la diffusion des Ogm ne cesse de croître en dépit des désaccords.





III. L'organisation sociale



La révolution scientifique introduite au niveau cellulaire s'étend aux niveaux supérieurs des individus, des sociétés et de leurs milieux. Un organisme ne peut être appréhendé uniquement de manière abstraite mais c'est un tout compris dans une autre totalité. Changer la partie du tout revient à modifier la totalité. Ainsi, la modification génétique altère non seulement l'individu mais toute la société ainsi que son environnement. On ne s'étonnera donc pas du lien qui existe entre l'évolution de l'alimentation, l'accroissement des inégalités et la dégradation de l'environnement.

Entre la nature et la société, se trouve l'outil, qui est souvent le point aveugle des analyses. Le laboratoire est le dispositif du gène, avec la seringue, la pipette et l'éprouvette ; tandis que le champ est le dispositif de la graine, avec la bêche, la charrue et la faux. Derrière les outils, il y a des gestes, comme programmer, conduire et pulvériser d'un côté ; ou bien semer, défricher et récolter de l'autre. Les outils et les gestes industriels s'inscrivent dans un système apparemment efficace mais également dispendieux, insoutenable à long terme et destructeur de travail, de savoir-faire, d'autonomie, de convivialité et d'entraide. Ainsi, adopter ou non les Ogm c'est choisir un mode de vie.

Le monde des Ogm est un monde inquiétant en raison également de la naturalisation des phénomènes sociaux liés à la génétique. La pauvreté, la maladie, la désobéissance, les différences culturelles et morales seraient liés à des facteurs génétiques et biologiquement traitable. Cette approche dispense de discuter les organisations sociales. Non seulement l'approche génétique ne remet pas en cause les inégalités sociales mais le monde Ogm est un monde profondément inégalitaire, avec des nantis transhumains médicalement performants et de l'autre côté des hommes ordinaires privés des moyens de se prémunir contre la maladie et la mort dans un monde de plus en plus toxique. Autrement dit, le monde Ogm maintient les inégalités et même les creuse. Au contraire, on peut imaginer un monde sans Ogm convivial et postindustriel, où les sociétés seraient émancipées de la méga-machine qui nous domine. Nous serions alors capables de construire et réparer les outils que nous utilisons. Au lieu du monopole des professions mutilantes (professeurs, médecins, scientifiques) et inutiles (managers, publicitaires, commerciaux), les habitants de ces sociétés autonomes pourraient s'auto-suffire, suivre leur rythme propre, et considérer la qualité de la vie autrement qu'en terme de surpuissance, de surabondance et de surpopulation.

Les partisans du monde génétiquement modifié mettent en avant divers arguments : la sécurité alimentaire, le confort, la santé, l'allongement de l'espérance de vie, le développement des pays développés, en voix de développement ou sous-développés, l'abondance, la disparition des famines, le développement de la recherche et de la connaissance et la création d'emplois d'avenir propres et valorisant socialement. Ceux qui s'opposent à cela, qualifiés généralement de fascistes verts, recherchent-ils dans ce cas la maladie, la mort, la famine, l'injustice, la régression et l'ignorance ? Bien au contraire, les détracteurs des Ogm essaient de montrer que le véritable visage des industrie biotechnologiques est plus inquiétant qu'il ne paraît. Marie Monique Robin, dans son enquête sur Monsanto, montre l'implication de cette firme dans l'armement chimique américain durant la guerre du vietnam, et les différents scandales et mensonges liés à la firme (Pcb, Ddt, Round up, dioxine, hormone de croissance). On peut donc s'opposer aux OGM pour défendre la qualité de la vie, le recul de la marchandisation de la nature et des hommes, l'autonomie des sociétés, avec leur alimentation et leurs techniques, la préservation de la santé et de l'environnement, la préservation de l'emploi et un développement culturel qui ne se réduirait pas à l’ingénierie mais qui serait aussi artistique, poétique, artisanal et philosophique. Le refus du développement, qui n'est pas celui d'un certain progrès, c'est le rejet des promesses intenables, naïves et mensongères, pour une véritable créativité et une richesse plus complexe que l'abondance de biens et d'argent qui nous sont promis par les biotechnologies et la technoscience en général.

Au modèle de l'usine planétaire, nous pouvons opposer celui des communaux, avec leur autonomie, leur auto-construction, leur rejet de l'appropriation privée (enclosure). Cette décentralisation impliquerait aussi une réforme des démocraties en les rendant directes. Les villages et les quartiers pourraient décider sans se soumettre au monopole et au gigantisme de quelques firmes. Ce municipalisme permettrait d'assurer la diversité biologique et sociale dans un projet égalitaire. Les circuits courts permettraient de réduire la pollution liée au transport. La fin de l'exploitation de la nature serait aussi la fin de celle de l'homme en réduisant les spécialisation notamment entre manuels et intellectuels. Au lieu d'une société génétiquement transformée, soumise à des normes et des contrôles centralisés, ou encore d'une société rétrograde arc-boutée sur la terre des ancêtres, la société que nous désirons est une société où la technique et la science n'effaceraient pas la nudité du visage d'autrui, pour parler comme Levinas.





Conclusion



Nous avons montré la logique galiléenne dans laquelle s'inscrivent les OGM et le génie génétique. Puis nous avons vu que les modifications apportées posent des questions de responsabilité, de choix et de démocratie. Enfin, nous avons clairement montré en quoi la question des OGM correspond à un choix de société. Or ce choix ne saurait se réduire à une alternative entre archaïsme et progrès. Le modèle industriel, qui tend à s'étendre de manière illimitée, de la matière inerte, au vivant jusqu'à l'intelligence, doit être aujourd'hui réévalué honnêtement et lucidement. Nous pouvons apprécier les bénéfices partiels de la technologie, tout en regrettant la destruction de certaines techniques traditionnelles. Ces techniques d'habitation, d'agriculture, de soin et d'enseignement que les hommes ont mis des siècles à élaborer devraient-elles disparaître subitement pour des technologies inexpérimentées ? Poser cette question ce n'est pas s'opposer au progrès ou réclamer un retour vers le passé, mais chercher à faire évoluer l'idée même de progrès, en réfléchissant à ce qui doit être préservé ou non, ce qui doit être tenté ou non. Or cela n'est possible qu'au sein d'une démocratie qui ne se réduit pas aux profits à court terme ou aux spéculations infantiles des lobby industriels et des dirigeants qu'ils financent. 

Raphaël Edelman, Rencontres de Sophie, Nantes 2015

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire